Le 15 juillet 2025, Sabine a accompli son premier voyage à l’étranger. Une visite au cœur de l’Europe, à la place Schuman à Bruxelles. Elle trépignait d’impatience depuis un moment dans l’église du Béguinage. Elle veut faire honneur à son nom et à sa stature : « Géante de la Dignité ».
À la mi-juin, elle avait assisté à la « Faim pour la Justice en Palestine » de cinq jours au House of Compassion. Disons plutôt « Faim pour la dignité de chaque habitant de Gaza ». La dignité de chaque personne, avec ou sans papiers. C’est cela qu’elle représente.
Cette dignité est bafouée en Israël. Le monde entier le voit et le sait. Gaza est devenue un champ de ruines. Beaucoup de ruines, peu d’espoir. Des milliers de personnes ont été tuées. Dans les bâtiments de la place Schuman, les dirigeants européens n’arrivent pas à s’entendre pour imposer des sanctions à Israël. Ni pour suspendre l’accord d’association. Gaza n’est pas l’Ukraine. Qui avait dit déjà : « It’s the economy, stupid! » ? Mais les gens ordinaires pensent autrement. Aujourd’hui, quelques centaines d’entre eux le montrent sur la place Schuman. Sabine y sera aussi. Avec nous.
Tout commence tôt le matin. Éric s’est levé aux aurores pour imprimer l’article 2 de la Constitution européenne et le coller sur des panneaux en carton. Cet article parle des valeurs fondamentales sur lesquelles l’UE fonde ses politiques : respect de la dignité humaine, droits de l’homme, liberté, démocratie, égalité et justice. C’est écrit sur du papier. Le papier est patient.
Dans les mains de Sabine, Various a fixé un drapeau portant ce même article. On lui attache aussi d’autres slogans sur le corps. Il manque des épingles, mais on y arrive. Elle est prête au départ.
Éric se glisse sous sa jupe. Juste cette fois, c’est permis. Rien de mal à cela. Et elle se met en marche. Daniël, Marcel, Stéphane, Jean-Claude, Luc, Olympia, Mia, Hilde, Walbert et Omar l’accompagnent. Tout roule — littéralement. Du moins pour elle. Ceux qui l’accompagnent ne roulent pas mais marchent, tirent les cordes à l’avant pour la faire monter, et à l’arrière pour la freiner en descente. Même Bruxelles est une ville vallonnée pour les géantes. Mais elle ne s’en soucie pas.
Arriverons-nous assez loin ? On se le demande. Les forces de l’ordre ne sont pas toujours enthousiastes pour ce genre d’événements. Nous avançons et passons la place De Brouckère, devant deux agents. Ils regardent sans intervenir. Puis nous grimpons par la rue des Chevaliers, passons la cathédrale jusqu’au croisement avec la rue de la Loi et la place Royale.
Une camionnette de police s’arrête. Les abords du Palais royal et du Parlement sont une zone neutre. Aucune manifestation n’est tolérée. Pas même des panneaux en carton avec l’article 2. Le chef de corps est appelé pour avis. Mais une géante digne sur roulettes entourée de quelques militants non violents de plus de 65 ans ne constitue apparemment pas une menace pour l’État belge. Tout au plus un peu d’agitation. Espérons-le.
Le cortège poursuit sa route par la rue Brederode, la rue du Trône, la rue de la Loi jusqu’à la place Schuman. Nous y voilà !

Voici Sabine !! Dans toute sa dignité, au milieu du groupe de manifestants, dominant de la tête. Drapeaux palestiniens, keffiehs, banderoles et pancartes colorent les lieux. On scande des slogans. Discours et témoignages s’enchaînent. Elle attire les regards.
« Qui est-ce ? Que fait-elle ici ? » Les mêmes questions, avec toujours la même réponse : « C’est l’une des cent géants de Bruxelles. Elle vient de l’église du Béguinage, du House of Compassion, et représente, comme chaque géant ou géante, un groupe de la population. Elle-même a été ‘étrangère’ — autrefois ? — et représente les étrangers, migrants et réfugiés, avec ou sans papiers. Et elle lutte pour leur dignité. Pour la dignité de chaque être humain. Et donc aussi pour celle des Gazaouis et des Palestiniens. C’est pour cela qu’elle manifeste aujourd’hui. Même si elle est un peu plus grande que nous. »
« OK, c’est chouette ! » « Courage ! » Voilà. On sait maintenant.

Plus tard dans l’après-midi, elle est rentrée saine et sauve. Une autre camionnette de police l’a gentiment accompagnée sur une partie du chemin, lui indiquant une route sûre, hors de la zone neutre. En chemin, elle a dû baisser la tête deux fois — non pas devant les forces de l’ordre, mais à cause d’une branche basse et d’un câble électrique. À l’arrivée, elle a retrouvé sa tête au bon endroit. Comme souvent quand on rentre chez soi. Seule sa coiffure en a un peu souffert. Peut-être que sa jumelle, coiffeuse de métier, pourra l’aider. Entre femmes, on sait s’y prendre.
Elle rayonne à nouveau à son poste habituel au House of Compassion. Et attend — avec un peu d’impatience — de pouvoir ressortir.
✍️ Jan Reynebeau
Crédit photo : Stéphane Lagasse
