Vêtements propres – rapport samedi 6/5/2023

Auteur : S. Geldof —

De mai à juin, la Maison de la Compassion se concentre sur l’esclavage contemporain. Au cours de cette veillée, nous nous concentrons sur les conditions de travail dans le secteur textile. 

L’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, dans lequel 1134 ouvriers du textile ont perdu la vie, remonte à 10 ans. Qu’est-ce qui a changé sur le terrain depuis lors ? Et où les choses continuent-elles de mal tourner aujourd’hui ? Et comment pouvons-nous, en tant que consommateurs et organisations du milieu, faire la différence pour améliorer les conditions de travail ?

 

Rana Plaza … plus jamais ça ?

Sanna Abdessalem
Coordinatrice achACT
Plus d’information : achacteurs@achact.be

AchACT est l’homologue de la Schone Kleren Campagne, tous deux membres de ‘Clean Clothes Campaign’, le réseau international d’organisations œuvrant pour les droits des travailleurs de l’habillement dans le monde entier.

À l’occasion du 10e anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh (où 1 138 personnes ont perdu la vie et 2 500 ont été gravement blessées dans l’effondrement d’une usine de confection), les deux organisations ont mené une action dans la rue Neuve à Bruxelles.  

En effet, cette catastrophe est un signe clair d’injustice dans le secteur de l’habillement : les gens travaillent pour un salaire indécent, dans des conditions dangeureuses, quasiment sans protection sociale et sans possibilité de faire valoir leurs droits fondamentaux. L’analyse de ce secteur révèle que le réseau complexe de sous-traitance permet aux donneurs d’ordre et aux bénéficiaires finaux d’échapper à leurs responsabilités.

Quelques observations clés de la catastrophe Rana Plaza: 

  • les travailleurs, principalement des femmes, travaillaient dans des conditions insalubres voire même dangereuses
  • malgré des signes clairs de danger d’effondrement, la plupart des femmes n’ont pas eu le choix de ne pas travailler – en raison de leurs revenus extrêmement faibles et la peur de perdre leur emploi
  • ces travailleurs n’étaient pas représentés par un syndicat 
  • il s’est avéré très difficile de prouver pour quels clients elles travaillaient (les étiquettes des marques de vêtements ont dû être récupérées dans les décombres). 32 marques ont pu être reliées aux usines du Rana Plaza, interpellées sur leur responsabilités, seules 12 ont confirmé s’approvisionner dans l’immeuble.

Que rapportent les campagnes et actions? 

  • il a fallu attendre deux ans de campagne et de mobilisations citoyenne et syndicale avant qu’une indemnisation ne soit versée aux victimes.. Un fonds a été créé, dont les contributions ont été versées sur base volontaire par certaines marques et grandes entreprises qui tirent pourtant d’importants profits de ce secteur. 
  • Suite à l’effondrement du Rana Plaza, un Accord contraignant inédit a vu le jour portant sur les enjeux de sécurité des usines. Aujourd’hui, l’Accord international pour la santé et la sécurité est signé par 195 entreprises, couvre 1500 usines soit 2 millions de travailleurs au Bangladesh, il vient d’être étendu au Pakistan.

Que pouvons-nous faire? 

  • Toutefois, cet Accord reste volontaire et de nombreuses enseignes refusent encore de le signer. Or, près de 4 millions de travailleurs produisent des vêtements au Bangladesh et plusieurs millions à travers le monde. Les efforts de pression restent nécessaires pour que les entreprises s’engagent et respectent les droits des travailleurs. (lisez ici l’info sur comment augmenter la pression.

Les organisations de Clean Clothes Campaign luttent, entre autres, pour une meilleure traçabilité de la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre dans ce secteur, notamment en sensibilisant la population, mais aussi en faisant pression sur les entreprises et sur les décideurs politiques pour une meilleure législation contraignant sur le devoir de vigilance.

Législation concernant toute la chaîne de production 

Laura Eliaerts
Chargée de mission au service international ACV
Plus d’information : laura.eliaerts@acv-csc.be

À l’aide de quelques exemples, Laura a souligné qu’il n’y a pas que dans le secteur de l’habillement que le réseau complexe de sous-traitance fait qu’il est très difficile de tenir les entreprises pour responsables, ce qui entraîne l’exploitation et les violations des droits de l’homme : voir par exemple le récent accident sur le chantier d’une école à Anvers ; Tesla, Apple, Microsoft, Dell et d’autres ont été poursuivis en justice par des familles congolaises concernant l’exploitation du lithium ; Borealis ; Delta du Niger : Shell (pollution de l’habitat des populations indigènes). Parfois, des résultats encourageants sont obtenus, par exemple lorsqu’un tribunal ne se contente pas de tenir la filiale locale d’une multinationale pour responsable, mais exige que la société mère garantisse des mesures préventives en matière d’environnement et de droits de l’homme. 

Le concept du devoir de vigilance (Human Rights Due Diligence) est bien développé et impose à l’entreprise d’être vigilante dans tous les aspects de ses activités et de tout mettre en œuvre pour respecter les droits de l’homme. Cela signifie aussi, par exemple, que dans les négociations commerciales, elle doit veiller à ce que la production soit rémunérée équitablement. 

Des lois locales (fédérales) et internationales (européennes) sont en cours d’élaboration, et des groupes d’intérêt tels qu’ACV appellent les législateurs à légiférer de façon effective. Le débat au Parlement fédéral, par exemple, est au point mort depuis un certain temps, depuis le projet de loi 2021… 

On observe également que certaines entreprises lancent des initiatives caritatives sous la bannière de la « responsabilité sociale des entreprises (RSE) » qui, toutefois, ne contribuent pas à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté et de l’injustice. 

Les citoyens peuvent-ils aussi faire quelque chose ? 

L’ACV reconnaît certes le pouvoir d’orientation des consommateurs, mais elle croit surtout à l’impact d’un meilleur cadre législatif. Il veut également éviter que les entreprises, si la législation d’un pays devient plus stricte, ne cherchent simplement leurs fournisseurs dans un autre pays.

Extrait du débat: 

  • la législation se concentre sur les entreprises, mais quelle est la responsabilité des autorités publiques? l’exigence de respect de la chaîne peut être intégrée dans des règles de plus en plus strictes en matière de marchés publics
  • pourquoi y a-t-il encore si peu de progrès, alors que cette question a été soulevée il y a 25 ans ? grâce à une analyse systémique de cette question complexe, d’autres leviers de changement peuvent également être identifiés. Voir Meadows, D. (2015) Thinking in Systems Les 12 leviers de changement sont classés en fonction de leur efficacité, les paramètres d’intervention et la réforme des structures apparaissant plutôt en fin de liste. 
  • La solidarité des travailleurs en Europe peut-elle également contribuer au changement ?
    • En effet, le modèle de la « fast fashion » est de plus en plus remis en question dans le monde des affaires (par exemple au sein des conseils d’administration).
    • lors de la manifestation du 23/4 rue Neuve, un employé d’une entreprise belge a appelé à plus de solidarité avec les collègues étrangers
  • Le prix de revient d’un vêtement n’est-il pas un indicateur du caractère équitable ou non des salaires de ceux qui l’ont fabriqué ? 
    • Le faible prix de revient suggère en effet que des salaires trop bas le rendent possible, mais inversement, il n’est pas vrai qu’un vêtement plus cher garantisse qu’un salaire correct a été payé.
    • la part du prix de revient consacrée à la production est généralement très limitée (moins de 1 %) 

Vous trouverez plus d’informations et d’inspiration dans la brochure  » Mettre fin aux violations des droits de l’homme par les entreprises” – WSM 2019 

Des questions concrètes sur une marque ? voir Fashion Checker