Auteur: S. Geldof —
L’article 3 du Code du logement de Bruxelles stipule que : « TOUTE PERSONNE A DROIT A UN LOGEMENT DÉCENT ».
et pourtant, dans la pratique, ce droit n’est pas respecté pour certains groupes, également appelés les « invisibles » : les sans-papiers, les personnes sortant de prison, les personnes expulsées de leur logement. Ils sont venus témoigner de leurs expériences. Un représentant du Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH) était également présent et a réagi.
La Voix des Sans Papiers (VSP) se bat depuis 10 ans pour les droits du premier groupe cible. Les personnes dont la demande d’asile a été refusée n’ont aucun droit : si elles sont lésées, elles ne peuvent pas aller à la police, par exemple. Ce qui les rend évidemment très vulnérables. Et pourtant… depuis la loi Onkelinx de ’93, les communes peuvent réquisitionner des bâtiments vides pour y installer des sans-abri, ce qui est malheureusement rarement le cas. En 10 ans d’existence, VSP a déjà occupé 23 bâtiments, où ils sont à chaque fois expulsés. Pour eux, la régularisation basée sur des critères clairs et permanents est la solution pour sortir de cette situation intenable.
Rock in Squat est un autre collectif qui regroupe une centaine de sans-papiers, dont beaucoup de femmes seules et d’enfants. Ils forment un groupe hétérogène, ce qui fait leur force, expliquent Rim, Nezha et Emmerance. Actuellement, avec le soutien de la municipalité, ils sont hébergés dans un bâtiment de la Kroonlaan, mais ils devront bientôt céder la place à un centre d’accueil de Fedasil. Pour eux aussi, les expulsions et l’absence d’ancrage pèsent très lourd, tant sur le plan pratique (perte de papiers importants, par exemple) que sur le plan mental (les enfants sont arrachés à leur contexte scolaire). Ils demandent une solution durable, de la compassion de la part du peuple belge.
Loïc Manche, du Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH), reconnaît que la loi Onkelinx fournit déjà le cadre juridique pour faire valoir le droit au logement et que la régularisation apporterait une solution durable.
Philippe Defeyt est cofondateur de la Plateforme Sortants de Prison, une asbl qui accompagne les sortants de prison dans leur recherche de logement, entre autres. Certains ont heureusement un réseau auquel ils peuvent s’adresser, d’autres pas du tout. Ils constatent dans la pratique que le système pénitentiaire actuel ne les prépare pas vraiment à cette situation. Souvent, ils n’ont pas de carte d’identité valide, on ne leur donne des médicaments que pour trois jours, et il n’est souvent pas clair, jusqu’au dernier moment, si quelqu’un peut être libéré plus tôt. La plateforme dispose de 4 à 5 logements pour l’hébergement temporaire et de 6 bénévoles. L’accompagnement commence idéalement un an à l’avance, afin de pouvoir se faire une idée des besoins de la personne. Plus précisément, ils les guident dans des questions pratiques telles que la signature de contrats avec des fournisseurs et l’accomplissement d’autres démarches administratives. Leur approche est toujours complémentaire aux autres formes d’assistance existantes.
Ils constatent surtout qu’il y a une pénurie de logements pour 1 personne – en effet, après une longue vie en communauté, ils ont envie d’avoir leur propre espace. Il y a une grande pénurie sur le marché et parfois des restrictions supplémentaires s’appliquent à ce groupe cible. Le soutien moral et humain que les bénévoles apportent est inestimable pour la réintégration dans la société !
Tam Blodiau du Front Anti-expulsions nous apprend qu’il existe 3 types d’expulsions : (1) les expulsions judiciaires (11 par jour à Bruxelles) pour arriérés de loyer (2) les expulsions administratives pour non-conformité du logement (3) les résiliations de bail pour cause de rénovation, après quoi le loyer double, voire triple, le rendant de facto inaccessible la personne qui y vivait. Les personnes expulsées peuvent être considérées comme des victimes de violences, c’est très radical, surtout si on est seul. Elles subissent également une forme de violence au tribunal, dans la manière dont elles sont traitées ou décrites. Le Front plaide donc contre les expulsions sans relogement (il faut en moyenne 11 mois pour qu’une personne retrouve un logement stable). Il rappelle également que la part des logements sociaux en Belgique est très inférieure à celle des pays voisins : 7 % contre 18 % en France (où l’on parle de crise) et 30 % aux Pays-Bas. Peut-on, en tant que société, tolérer qu’un droit fondamental comme celui au logement soit de facto dicté par le marché privé ?
De nombreuses personnes ne peuvent plus payer leur loyer. Loïc du RBDH fait référence à la grille des loyers de référence, qui indique si un bien est loué à un prix acceptable. Cependant, celle-ci est établie sur base des loyers effectifs et reflète donc le marché plutôt que de fixer une ligne directrice. Ils demandent une mesure plus correcte (qui ne soit pas dictée par l’offre et la demande). Ils notent également que, dans la jurisprudence relative aux litiges locatifs, il y a moins d’équilibre entre les parties que, par exemple, dans les tribunaux du travail où l’employé et l’employeur sont sur un pied d’égalité.
Lors de la séance de questions, il est suggéré de combiner les luttes sur les différents fronts afin qu’elles se renforcent mutuellement. Notre système social n’est pas vraiment en phase avec la réalité et, dans de nombreux domaines, il est même dysfonctionnel. Il est nécessaire de défendre les droits des invisibles de façon globale. En effet, cette rencontre a donné un aperçu clair du vécu des personnes impliquées et des pistes d’amélioration possibles.
Ensuite, tout le monde a pu rejoindre la longue table pour déguster une bonne soupe fraîche, du pain et des garnitures. Les personnes avec ou sans papiers rassemblées autour de la même table, pouvaient échanger leurs impressions et leurs idées.